Les médicaments hors brevet présentent de nombreux avantages pour l'assurance maladie. Par exemple, ils déclenchent une panoplie de réductions de prix, réduisent les dépenses dans le budget de la Santé, élargissent les options thérapeutiques, apportent la concurrence sur le marché et diversifient la chaîne d'approvisionnement. Voilà pour l'histoire positive.
En fait, tous ces avantages ont un revers à leur médaille pour l'industrie des médicaments hors brevet elle-même qui, en raison de l'attention presque exclusive que les payeurs portent aux réductions de prix et à la compression incessante des dépenses de médicaments, voit ses prix s'éroder et la concurrence sur le marché se réduire.
"Par exemple, le rapport coût-efficacité dans une classe thérapeutique n'est pas systématiquement étudié, l'hôpital, par le biais de la pharmacie de l'hôpital - et non l'INAMI, et encore moins le patient - récolte la plupart des avantages des remises suite aux appels d’offre, l‘absence du changement de chapitre après l'expiration du brevet ne mène pas à un volume supplémentaire de médicaments à bas prix, l'incitation espérée dans la ‘classe 3C’ des post-brevets à valeur ajoutée reste lettre morte et suite aux changements successifs dans le système le cluster des ‘médicaments les moins chers’ entraîne plutôt un désincitant pour les fournisseurs potentiels en raison des amendes qui planent au-dessus de leur tête en cas de retrait de leur médicament du marché", a clarifié Wim Vervaet, Director Policy & Strategy de Medaxes. "Ne pas encourager la concurrence de manière saine hypothèque la viabilité du budget et du système", ajoute-t-il. Le changement est urgent, d'autant que les évolutions de la société, de la science et du marché remettent en cause l'espace budgétaire libéré par le secteur hors brevet.
Dans les options de traitement, nous observons un changement de paradigme. Le modèle de Frost & Sullivan (‘New Paradigm Shift in Treatment’) indique que nous sommes en train de passer d'approches ‘1-size-fits-all’, par des médicaments ’ciblés‘ aux médicaments personnalisés et de précision. Ces derniers agissent de manière plus ciblée mais peuvent être utilisés chez un nombre plus restreint de patients. Cela augmente (notablement) le coût par patient et le besoin d'espace budgétaire n’en devient encore que plus prononcé. Le ‘headroom for innovation’ créée par les médicaments hors brevet, qui a permis par le passé de réaliser 2 milliards d'euros d'économies dans le budget des médicaments, et les médicaments ’ciblés’ tels que les biosimilaires, qui ont également représenté 350 millions d'économies jusqu'à aujourd'hui, atteignent leurs limites.
"Dans le cadre du budget des médicaments, nous devons cesser de considérer les médicaments hors brevet qui fournissent des soins de base à tous les citoyens d'une part et les médicaments innovants qui se concentrent principalement sur les 'besoins médicaux non satisfaits' d’autre part comme des vases communicants. Le mantra selon lequel les prix plus bas des médicaments dans le segment hors brevet garantissent l'accès aux médicaments a clairement dépassé sa date de péremption", affirme Wim Vervaet. "Les payeurs doivent changer leur fusil d'épaule et investir dans une utilisation maximale des médicaments hors brevet pour optimiser les dépenses de santé. Plus précisément, cela signifie qu'il faut opter pour des prix durables plutôt que des prix cassés, pour le ‘meilleur’ achat (lire la meilleure option thérapeutique) plutôt que pour l’achat qui a le moins d'impact, pour une concurrence saine plutôt que pour des baisses de prix récurrentes (érosion des prix) et pour un approvisionnement durable plutôt que des pénalités pour indisponibilité."
En Europe, les médicaments sous prescription hors brevet (bon marché) assurent près de 70 % des soins de tous les citoyens pour 25 % du budget. La Belgique en revanche se caractérise par une forte tradition de prescription de médicaments originaux. Les médicaments génériques vendus par les officines publiques représentent 30% du volume contre 10% du coût.
"Ces pourcentages ci-dessus mettent immédiatement en évidence le talon d'Achille du système", explique Wim Vervaet : "Nos membres opèrent sur un marché très 'non durable', où les volumes (très) faibles, l'érosion continue des prix dans le segment des génériques, associés à la hausse générale des prix à la consommation et à la production, entraînent des pénuries de médicaments." La thèse de maîtrise d'Ellen Van Hoof (2021-2022) expose également la corrélation entre l'érosion des prix et la réduction de la concurrence et le la durabilité déclinante du marché. La plupart des génériques ‘vintage’ font partie d’un marché de moins en moins durable et leur existence est menacée.
Si nous voulons éviter que les médicaments à bas prix ne disparaissent du marché, que les citoyens restent assurés de bénéficier de soins de base abordables et que la chaîne d'approvisionnement reste diversifiée - et admettons-le, c'est ce que nous voulons tous de toute façon - alors l'achat de médicaments (par le payeur) doit se faire de manière durable. Comment intégrer ces objectifs dans une politique qui permet à la fois la maîtrise du budget, le contrôle du budget et les corrections budgétaires ?
S'appuyant sur le modèle danois AMGROS (pour un approvisionnement durable en médicaments), qui mesure le cycle de vie d'un médicament par rapport à son prix, Wim Vervaet déclare : "En cas de forte baisses des prix, nous avons le choix d'intervenir ou non. Si nous ignorons la situation, nous risquons des pénuries et des monopoles de fait avec un impact budgétaire potentiellement incontrôlé. Medaxes préconise par contre de garder le contrôle dans cette situation. Nous devons réfléchir à notre ‘disposition à payer plus’, c'est-à-dire de payer un prix qui offre également aux fabricants de médicaments un niveau de prix durable, permettant à de multiples fournisseurs de continuer à commercialiser leurs produits."
Dans le cas de l'achat de nouveaux médicaments, la sécurité sociale se base sur différents critères tels que la base de remboursement (lire le ’prix’) et les modalités de remboursement basées sur l'HTA, et se concentre sur la valeur thérapeutique et sociale ajoutées et l'impact budgétaire de son achat potentiel.
Dans le cas des médicaments génériques, nous constatons que la sécurité sociale opte résolument et sans équivoque pour des économies/réductions de prix basées sur une base de remboursement (prix) réduite et les mêmes modalités de remboursement que pour les médicaments originaux, sans se soucier de la disponibilité durable des médicaments génériques. La valeur ajoutée thérapeutique et sociale initialement reconnue risque finalement de se perdre et un cadre monopolistique se profile à l'horizon.
"Alors qu'au niveau micro, c'est-à-dire au niveau des mesures de limitation budgétaire, le payeur fixe des limites pour chaque médicament individuel arrivant sur le marché afin de limiter son impact budgétaire, et qu'au niveau macro, c'est-à-dire au niveau correctif avec les taxes, entre autres, l'impact de toutes les décisions du niveau micro est corrigé (si nécessaire), il faut un niveau méso dans la politique budgétaire qui contrôle et peut agir rapidement pour maintenir le train sur les rails", argumente Wim Vervaet. Ce niveau méso permettra au payeur de rembourser systématiquement les médicaments existants et futurs au plus grand nombre de citoyens possible, d'utiliser tous les médicaments de la manière la plus rentable et d'acheter (rembourser) tous les médicaments au ‘prix le plus durable’. Ce niveau méso ou de contrôle devrait encourager les payeurs à opter pour les ’meilleures’ options de traitement (et non les moins chères) d'un point de vue pharmaco-économique.
Le ‘prix le plus durable’ garantit que l'approvisionnement en médicaments ‘les moins chers’, les plus utilisés ou les plus chroniques, reste assuré, que la diversification de la chaîne d'approvisionnement (c'est-à-dire la concurrence et la multiplicité des fournisseurs) est maintenue et que le rapport coût-efficacité de tous les médicaments d'une classe ATC est optimisé. "De facto, cela signifie que nous devons être prêts à payer plus (si nécessaire) afin de ne pas perdre de précieux médicaments", souligne Wim Vervaet.
L'introduction d'un niveau méso ou de contrôle dans la politique nous permet de faire des investissements ciblés dans les médicaments durables, d'éviter les dépenses incontrôlées résultant de situations de monopole ‘de facto’, d'éviter les pénuries de médicaments dues à des facteurs économiques, et d'ajuster la politique au niveau micro et macro en fonction des particularités des différents types de médicaments.
Les recommandations de Medaxes à ce niveau méso pour assurer un prix et un budget des médicaments durables.
"Grâce à des incitants à la concurrence, à l'accent mis sur la sécurité de l'approvisionnement, sur des volumes et des prix durables, et à un suivi continu du rapport coût-efficacité, nous pouvons effectuer ce ‘contrôle’, éviter le risque de dommages collatéraux et choisir la meilleure option thérapeutique d'un point de vue pharmaco-économique. Après tout, on ne gère pas un budget de la Santé durablement comme un coût, mais on en prend soin comme un investissement pour les générations actuelles et futures", conclut Wim Vervaet.